Témoignages de l'atelier de traduction D. Dimitriadis - Maria Efstathiadi

Publié le par Les Coulisses de la MAV


Le regard de Maria Efstathiadi, co-traductrice de Le Commencement de la vie avec Eric da Silva


N’étant pas bilingue, l’idée de m’attaquer à un travail de thème ne m’était jamais venue jusqu’à il y a quelques mois. Mais il ne m’était jamais non plus arrivé d’avoir à traduire en collaboration avec quelqu’un d’autre. Jusqu’alors, écrire et traduire étaient pour moi des manifestations différentes d’un même travail. Dans les deux cas, on est confronté à ses propres insuffisances. Dans les deux cas, on trouble la sérénité de sa propre langue. Ce qui constitue la grande différence, c’est la responsabilité, comment blesser le moins possible la langue de l’autre par l’agressivité de la sienne propre. On habite un trou en compagnie du texte étranger, seuls. On flirte, on tombe amoureux, on va peut-être s’aimer. Mais on va sûrement se heurter, on va se crêper le chignon, non seulement une mais de nombreuses fois – les relations idéales sont d’ailleurs rares. On est enchanté quand on arrive à le dévêtir un peu, quand on peut partager avec lui des secrets, et l’on apprend à se contenter d’instants d’embrasement et de jouissance. Et lorsque cela est accompli, les textes avec lesquels on a partagé une vie commune laissent sur soi leur empreinte indélébile. Que se passe-t-il en revanche lorsque la langue dans laquelle on traduit n’est pas la sienne ? Ce que j’ai dit plus haut est-il alors valable, et dans quelle mesure ?
Lorsque Dimitris Dimitriadis et Laurent Muhleisen (car à l’époque je n’avais pas encore eu la chance d’entrer personnellement en contact avec Jacques Le Ny) m’ont proposé de participer au projet de traduction d’œuvres de Dimitriadis, organisé par l’AET et la MAV, qui était que chaque œuvre serait traduite par un Grec et un Français, j’ai dit non au début. Ce qui m’a fait fléchir, c’est que le projet concernait un auteur et une écriture qui sont pour moi ce que le théâtre grec contemporain a de plus important à montrer actuellement.
Au début, je ne savais même pas ni sur quel texte j’allais travailler, ni avec qui. J’avais accepté à l’aveuglette. Et c’est cela peut-être qui était encore plus excitant. Lorsque j’ai débuté le premier jet / mot-à-mot du Commencement de la vie (titre provisoire), j’avais déjà effectué une lecture « à main levée » à l’Odéon. C’était le baptême du feu. Suivirent de nombreuses discussions sur ce qu’est et n’est pas un mot-à-mot, sur ce que chaque pôle apporte à la constitution du texte final. Mon angoisse à moi, c’était comment allais-je réussir à transmettre cette familiarité que j’avais acquise avec le texte de Dimitris, sans le trahir, à quelqu’un qui ne connaissait pas le grec. Comment conserver le rythme ? Faire comprendre à l’autre, non pas ce que l’on veut soi-même dire, mais un tiers ? C’est là que se trouve concentré le risque de la non-communication avec l’autre, le défi de rapprocher deux réalités différentes tout en conservant leur différence, en jouant le rôle de l’intermédiaire, sans s’étonner que ce qui est évident pour soi est obscur pour l’autre. Lors de la rencontre de tous les collaborateurs en juin à l’Odéon, j’ai vu Eric da Silva pour la première fois. Pendant une semaine, nous avons travaillé à un rythme intensif, en compagnie aussi de Dimitris. Sa présence était une inspiration, sa patience, son ouverture d’esprit mais aussi sa persévérance. Depuis lors, la traduction a été écrite et réécrite de nombreuses fois, lors de rencontres répétées avec Eric, échanges, corrections, changements radicaux, retours, lectures à voix haute. Maintenant que la traduction est terminée – si l’on peut jamais dire qu’une traduction est terminée – la seule chose que je puisse dire, c’est que si elle est parvenue au point où elle se trouve, elle le doit à Eric. En ce qui me concerne, l’expérience de cette collaboration, de cette rencontre et de cet échange était quelque chose d’unique. Ce que l’on n’ose pas faire, c’est l’autre qui le fait.

Edito Correspondance n°43 - Janvier 2009

Publié dans Ateliers de traduction

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