Mousson d'été 2009

Publié le par Les Coulisses de la MAV

TABLE RONDE SUR LES DRAMATURGIES ESPAGNOLES, MOUSSON D’ÉTÉ 2009
par Marion Cousin et Christilla Vasserot


    L'édition 2009 de la Mousson d'été a mis l'Espagne à l'honneur. Parmi les textes présentés en lecture, quatre avaient été écrits en catalan : Tentation de Carles Battle (traduction Isabelle Brès, avec une aide de la Maison Antoine Vitez, publiée dans le Collection Scènes étrangères, éditions Théâtrales), Après moi le déluge de Lluïsa Cunillé (traduction Ángeles Muñoz), Singapour de Pau Miró (traduction Denise Laroutis, avec une aide de la Maison Antoine Vitez), Contre le progrès d'Esteve Soler (traduction Alice Denoyers). Deux auteurs de langue espagnole, déjà présents lors de précédentes saisons de la Mousson, étaient aussi invités cette année à l'abbaye des Prémontrés : Angélica Liddell pour sa pièce Belgrade et Rodrigo García pour C'est comme ça et me faites pas chier (toutes deux traduites par Christilla Vasserot, la première ayant bénéficié d'une aide de la Maison Antoine Vitez). En outre, un spectacle en langue espagnole, qui ne venait pas d'Espagne mais d'Argentine, a été présenté au Centre Culturel Pablo Picasso de Blénod-lès-Pont-à-Mousson : Tercer cuerpo, l’histoire d’une tentative absurde, par la compagnie Timbre 4 (texte et mise en scène de Claudio Tolcachir, surtitrage de Leticia Scavino).
    Un premier constat semblait donc s'imposer : on ne parle pas espagnol qu’en Espagne et on ne parle pas qu’espagnol en Espagne... À ce propos, Rodrigo García, qui est né et a passé la moitié de sa vie en Argentine avant de s'installer en Espagne, est-il espagnol ou argentin ? La question lui a été posée à l'occasion d'une table ronde sur les auteurs espagnols, à laquelle nous avons été conviées à participer. L'absence d'une réponse tranchée fut alors l'occasion d'un débat sur la question identitaire, débat au cours duquel les auteurs catalans Pau Miró et Esteve Soler ont exposé les enjeux d'une écriture en Catalogne. La discussion s'est donc en partie déplacée sur le terrain politique, plusieurs interventions, à la table et dans le public, évoquant le rôle des régions et notamment des institutions catalanes dans la promotion et la diffusion du théâtre catalan. On remarquera en effet que la présence de ces auteurs était aussi le fruit d'un partenariat avec la Sala Beckett et l’Institut Ramon Llull–Llengua i cultura catalanes.
    Pau Miró et Esteve Soler ont ainsi rappelé le soutien apporté par la Sala Beckett aux auteurs résidant en Catalogne. Fondé en 1989, ce lieu est un espace de création, de diffusion et, notamment grâce à la mise en place de l'Obrador Internacional de Dramaturgia, d'expérimentation et de formation. Les nombreux ateliers de dramaturgie, qui se sont multipliés en Espagne depuis les années 80, ont d'ailleurs été considérés par plusieurs intervenants comme l'une des sources de l'émergence de nouveaux auteurs et, en particulier, d'une dramaturgie catalane qui revendique sa spécificité culturelle. On n'a pas manqué de relever, à ce sujet, les conséquences de l'affirmation de cette spécificité linguistique sur la circulation des textes, et l'habitude pour certains auteurs catalans de s'autotraduire en castillan... même si l'exercice ne va pas de soi : à titre d'anecdote, Pau Miró a dit qu'il s'y est essayé une fois et qu'il ne recommencera plus jamais, bien qu'il lui arrive pourtant de concevoir certains textes en castillan.

    Outre ces considérations d'ordre linguistique et peut-être politique, nous avons pu constater, à l'occasion de cette table ronde et, surtout, en assistant aux différentes lectures de la Mousson, que les thématiques abordées dépassent les frontières régionales ou nationales. En effet, aussi bien les textes des catalans Pau Miró, Carles Battle et Lluïsa Cunillé, qu'un texte d'Angélica Liddell, Et les poissons partirent combattre les hommes (traduction Christilla Vasserot), qui fit l'objet d'une lecture en 2007, convoquent la figure de l'immigré, qu'il soit fantôme dans Après moi le déluge, ou clandestin comme « l'homme mouillé » de Singapour mais aussi comme Cristobal Kendo, le jeune Burkinabé qui se cache dans le train d'atterrissage d'un Boeing 747 et dont le cadavre est largué au-dessus de la forêt de Rambouillet dans Les morts qui touchent du français Alexandre Koutchevsky. La dramaturgie espagnole, loin d'être enclavée dans une problématique nationale, questionne le devenir de la forteresse Europe et les rapports Nord-Sud, qui ne sont d'ailleurs pas étrangers à un auteur comme Rodrigo García, qui s'est lui-même revendiqué, au cours de cette table ronde, comme immigré.
    C'est un tout autre sujet, néanmoins, que celui-ci aborde dans C'est comme ça et me faites pas chier, pièce écrite pour être jouée par un acteur aveugle, et que l'auteur lui-même mettait en espace à la Mousson d'été. Le spectateur, souvent transformé en lecteur dans ses dernières créations, assistait là au spectacle de la lecture, García ayant décidé de filmer les mains du comédien lisant et de projeter les images de cette lecture en braille. Dans cette pièce, le texte devient calligraphie, pour mieux interroger ce langage désormais incapable de faire communiquer les hommes entre eux, cet alphabet devenu châtiment. Ce questionnement du langage et de l'écriture par la parole théâtrale rejaillissait enfin dans Belgrade d'Angélica Liddell, prenant la forme d'un échange impossible entre les personnages : déconstruction du dialogue, juxtaposition de monologues, éclatement des voix pour dire la décomposition d'une société, autant d’éléments qui ancrent son écriture dans une modernité théâtrale, dans une réflexion collective et dans une douleur intime.

Edito Correspondance n°45 - Octobre 2009

Publié dans Théâtre espagnol

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