Témoignages de l'atelier de traduction D. Dimitriadis - Claudine Galéa

Publié le par Les Coulisses de la MAV

Le regard de Claudine Galea, , co-traductrice de Cercle carré (titre provisoire) avec Dimitra Kondylaki

Au commencement.
La surprise un peu déstabilisante de traduire à partir d'une langue dont je ne connais rien – à part l'alphabet et quelques notions héritées du grec ancien appris au lycée –, m'a, dans le même temps, fait prendre une orientation assez droite.
Je n'avais pas envie que traduire soit un simple exercice de remise en français, une mise au propre en quelque sorte. Par ailleurs, on ne s'adressait pas à moi en tant que bilingue, mais en tant qu'écrivain. C'est la littérature qui était d'abord sollicitée. J'ai donc – après lecture des textes de Dimitris Dimitriadis déjà traduits, et des résumés de ceux qui étaient offerts à la traduction –, choisi chez cet écrivain grec absolument passionnant et prolifique une pièce dont le caractère expérimental, ouvert, me semblait plus propice. Où ma présence me paraissait plus appropriée.
Cercle carré, écrit en 2007, est une « pièce-machine » : le jeu qu'entretient la langue avec le sens, un jeu de plus en plus tourbillonnant, bâti sur l'ellipse, les doubles ou triples sens, les renversements, les échanges d'identités, les variations perpétuelles, permettait que la langue française s'aventure, défriche, ouvre des voies, propose.
Il faut d'emblée dire que j'aime l'univers de Dimitriadis, la complexité  de son imaginaire, le caractère « off limits » de ses personnages, leur perversion, leur ironie, leur cruauté, leur déraison, leur drôlerie. J'aime du théâtre qu'il fictionne via sa langue. Que l'artifice y soit lisible en même temps qu'une forme de vérité psychique des caractères, que l'outrance au réalisme interroge déjà la représentation à venir. Avec ce texte, j'étais particulièrement servie !

Pendant le travail.
Il y aurait beaucoup à dire du travail de traduire, de ce qu'il appelle en soi d'humilité et d’orgueil, d'appropriation d'un texte, de personnages, de situations, de conflits, d'enjeux qui nous viennent d'un autre que soi.
Le fait de partir d'un mot à mot – j'ai eu la chance de travailler dans un dialogue soutenu et constamment productif avec Dimitra Kondylaki –, m'a d'abord fait perdre mon français. J'ai donc commencé par mal écrire. Ce mal-écrire, assez déroutant, est en réalité un bienfait. La maladresse, l'effort, le labeur empêchent la précipitation vers l'interprétation et la clôture du sens.
Lorsque le français vous revient, il vous revient comme déjà traduit : il n'est plus votre français d'écrivain, il est habité, chargé de la langue et de la construction mentale d'un autre, c'est une troisième langue qui arrive.
La structure de la pièce, basée sur la répétition, la variation et l'aléatoire est proprement obsédante. Cela me convient. J'aime me perdre et me retrouver ad libitum. J'aime aussi avoir peur, être hantée. Il y des strates de travail, des étapes, des retours en arrière, et des illuminations !
Un jour, vous vous sentez libre, nageant dans votre propre mer intérieure. Sentiment d'une passation, d'une transfusion.
Alors l'aventure commence vraiment. Je dois beaucoup à la confiance que Dimitris Dimitriadis m'a témoignée. La nature de sa pièce invite, et je dirai même, exige de jouer avec, et il m'a permis de prendre cette liberté. La traduction à certains moments devenait dramaturgique et nous avons ensemble, Dimitriadis, Kondylaki et moi, réfléchi à la façon dont la version française allait donner au texte grec une orientation singulière.
Il me semble que sans l'espace de cette singularité, on ne peut pas écrire. Et je dirai maintenant, on ne peut pas traduire.

À l'issue.
Reste à dire ce qui est essentiel pour l'autrice-traductrice que je fus : en cinq mois, jamais je ne me suis lassée, jamais je n'ai eu envie d'en finir. L'excitation, la fatigue, la tension, le plaisir, l'insatisfaction, l'envie d'aller plus loin, les doutes ont été les mêmes que lorsque j'écris mes propres histoires.
Cela a confirmé aussi quelque chose : écrire fait écrire. Les mondes qu'on ouvre en écrivant sortent de l'écriture, du style, de l'usage de la langue. À part égale de ce que vous avez en tête avant d'écrire.
Je ne suis pas l'auteur de la pièce, mais traduire m'a fait écrire. Et penser. À ce que représente le théâtre notamment. Mais pas seulement.
Alors merci. J'ai envie de recommencer.

Edito Correspondance n°43 - Janvier 2009

Publié dans Ateliers de traduction

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